07 Mar D’art et de tagada avec mon chat.
Pendant l’accrochage de l’expo, une artiste me racontait qu’elle avait terminé sa toile à la dernière minute. Elle fixait encore les œillets avant de partir. En l’écoutant, je me disais qu’avoir des aides était tout de même un sacré avantage. Mon travail a été prêt en temps et en heure. Alors que seule il n’aurait probablement pas été achevé. Thierry s’est occupé de la fabrication du film transfert et des œillets, puis Maman de la broderie. Grâce à eux j’ai pu consacrer seize heures à d’autres projets. Bon j’ai quand même eu un petit problème de temps. Une estimation technique mal jugée et cette erreur risque de devenir de plus en plus visible dans le temps. J’ai pensé qu’avec deux semaines de séchage j’étais large mais non. Et que se passe- t-il quand on met un produit à base d’eau sur une encre à l’huile ? Et bien ça craque. Après la craqure ne me gêne pas. Mais je n’en connais pas encore la cause exacte. Je pense à un problème de séchage car avec les tests réalisés sur des impressions de l’été dernier il n’y a eu aucun souci. Sauf que ça craque dans les tons clairs, qui eux, sont secs car c’est où il y a le moins d’encre. Ca pourrait donc être dû aux manipulations pendant la broderie. Mais les essais ne sont pas cassant. Effectivement on ne peut pas non plus vraiment comparer un échantillon de quelques centimètres et le résultat d’un mètre. Quant à l’autre transfert réalisé il y a environ 2 ans, il n’a pas été roulé et manipulé aussi souvent. Bref dans moins d’une semaine le décrochage. Il sera toujours temps d’improviser à ce moment. Lundi la toile allait bien. Hier il faisait beau. Aujourd’hui c’est le déluge. Pendant la fabrication du film, avec l’eau la colle se liquéfiait à nouveau…
Mais revenons à nos moutons. Avoir une équipe. Pour pleine mer nous étions quatre. Pour le livre Escalier, quatre aussi. Et pour Camille, trois. Et franchement, ça change la vie. Je n’ai pas réalisé en un mois (un mois que Thierry est mon assistant, comment ferai-je après ?) les trois ou quatre années de retard (pour me concentrer sur les priorités en ignorant la liste accumulée déjà aux Beaux-arts) mais je peux à nouveau profiter de ce que je fais, prendre le temps de le faire comme je souhaite et non comme le temps me le permet. Car si vous ne le saviez pas encore, le temps est mon principal problème. Pour ne pas dire le seul, l’unique. Alors depuis le temps qu’on se bat lui et moi, il serait peut-être temps d’en dire quelques mots. Alors parlons-en de ce temps.
D’un point de vu historique nous avons réellement commencé à nous battre alors que j’étais encore au collège, il me semble. Une dispute avec Maman à je ne sais plus quel sujet qui s’est soldée par une phrase du genre « de toute façon tu ne seras jamais heureuse puis que même moi qui ne veux pas faire un dixième de ce que tu veux, je n’ai pas le temps de tout faire. » Et depuis je me souviens de toutes les fois où j’ai été partagée entre ce que je devais faire et ce que je voulais faire. Et pourquoi l’art ne pourrait-il pas être ma seule obligation? Après tout il est bien ma raison de vivre.
Comme pour tous ceux qui se sont frottés au temps, il en a résulté des combats tantôt enragés, tantôt désespérés, des nuits blanches, des larmes, beaucoup de frustrations pour de faibles victoires. Mais ce ne sont que des batailles. La guerre n’est pas perdue. Alors depuis septembre je passe une partie de mon temps à négocier avec lui. Négociations ironiques puisque pendant ce temps je ne fais rien d’autres. Pourrions-nous renommer ces négociations par le terme de « méditation » pour ne pas avoir l’impression de perdre du temps ? De compromis en compromis il se peut que l’on parvienne à un accord, ne serait que temporaire. Il y a deux semaines je remportais une première victoire : je pouvais mathématiquement faire tout ce que je voulais dans une journée. Une journée de vint-quatre heures. Tout ce que je voulais et devais faire _ TOUT ! _ tenait dans seulement vingt-trois heures. Victoire, certes, mais mathématique car tout doit être chronométré à la seconde et surtout je ne me sens pas capable de renoncer à mon âme de marmotte pour ne dormir plus qu’une heure, mais il y a encore quelques mois il me manquait trois mois par an pour réaliser tout cela. Et voilà que depuis quelques jours, à force de jongler entre mes envies et de redéfinir mes priorités j’ai réussi à gagner quelques heures de sommeil. Je peux dorénavant dormir cinq heures par nuit et aller à l’atelier tous les jours, faire du sport et jouer avec mon chat adoré pendant que nagent les poissons et me percent les oreilles Isis et Osiris, mes perruches. (Je les ai appelées ainsi car après avoir décimé une bonne partie de l’histoire de l’art du XXè siècle j’ai pensé que de tels noms leur permettrait de vivre plus longtemps, et effectivement elles ont dépassé les trois mois. Ouf.)
Ce combat m’a bien fatiguée et depuis que j’ai trouvé cet accord, je dors. Si je laisse au temps gagner du terrain, si je le laisse croire à une période de paix, c’est pour mieux remporter la guerre. Car à défaut d’allonger les jours, de rajouter des mois à l’année (fichus complices du temps qui avez réalisés un calendrier sans tenir compte que l’homme était peuplé de désirs) …. Je peux, moi, vivre plus longtemps que prévu. Mais ça nécessite de la jouer finement. Alors autant se faire du temps un ami.
Bien sûr la vie serait bien plus simple si je pouvais ne pas travailler, ne pas sortir, ne pas faire les courses ni le ménage, ne pas dormir… Si je pouvais vivre uniquement d’art et de tagada avec mon chat bien aimé.
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