Deux mois plus tard.

 

Le Japon me manque. J’étais si heureuse de rentrer et de retrouver mon atelier et ma Choupy que je n’aurais pas pensé que cela puisse me manquer. Ce qui me manque ce n’est pas de risquer de mourir à chaque instant, de prendre une douche à l’acide nitrique ou de naviguer au milieu des produits chimiques à l’odorat… Ni la furieuse envie de hurler chaque fois qu’on me disait « c’est impossible, ça ne se fait pas ici »… Ce qui me manque c’est l’espèce d’équilibre auquel j’étais parvenue. Si on peut appeler ça un équilibre. Ne sortir que pour acheter à manger et n’acheter que des cupnoodle, avoir pour seul lien à la nature la tentative de graver une sauterelle sur un bout de bois. Ce qui me plaisait c’était de m’endormir le soir en sachant que le lendemain je n’aurais rien d’autre à faire que ce que je veux, me lever le matin en sachant que je pourrais savourer chaque instant de ma gravure, y passer le temps que je veux (enfin celui autorisé par ma patience) et faire genre que je ne comprends pas quand on me dit que je ne vais pas assez vite. Bref pour résumer vivre d’art et de cupnoodle en envoyant bouler tout le reste. Mise à part que ce n’était pas mon monde, c’était parfait.

J’ai passé les premières semainesde mon retour à manger des pizzas, de la charcuterie, à retrouver tous ceux qui m’avaient manqués et à parler, parler, parler. Puis j’ai refait mon atelier (qui n’est toujours pas fini). Puis j’ai décidé de mettre à exécution mon plan pour dominer le monde et plus rien n’a marché comme je voulais. Arachnoland qui me semblait être devenu l’endroit rêvé redevient, l’automne venu, une zone de guerre. Certains jours je n’y mets même pas les pieds. La liste de tous mes projets s’est déjà changée en liste de retard et rattrapages prioritaires. Avec le retour au monde qui est le mien, les impératifs et délais à respecter sont revenus. Avec les délais, les listes sont revenues. Alors je me suis remise à la recherche du planning idéal. Pourquoi quand je suis loin de chez moi j’ai le temps et que plus je me rapproche plus il s’en va ? Donc j’ai cherché les différences. La 1ere qui m’est apparue est le travail et le temps de transport. Alors plutôt que de faire rentrer le monde dans des cases j’ai essayé d’imaginer ce que je ferais si j’organisais ma vie complète sans dépendre des autres. Ca ne rentrait pas. Alors oui, peut être qu’effectivement je peux me passer d’apprendre  6 ou 7 langues différentes juste pour le fun. Mais ça n’a pas changé grand-chose.

Donc j’ai décidé de rayer le reste du monde. Que ferais-je de mon temps si j’étais le seul être vivant à des kilomètres à la ronde et que la nourriture tombait du ciel chaque fois que j’ai faim ? Bah déjà, je m’ennuierai. Mais surtout, et c’est là le drame, les journées restent trop petites ! Ce n’est pas le monde qui est contre moi, mais l’univers tout entier ! Les lois de la physique empêchent un planning de rêve de tenir dans seulement 24 petites heures.  Toujours devoir choisir. Il y a 10 ans j’ai commencé ma liste de projets pour la retraite, mais à cette vitesse ma retraite ne sera pas assez longue pour tout faire. Et si je prenais une retraite archi anticipée,  dans 2 ans, je n’aurais pas le temps de faire mes projets pré retraite. En dehors de ça, j’arrive quand même à graver un lino par semaine. Dans mon sac à main, une matrice, un feutre noir et 2 gouges soigneusement rangées dans un étui à lunettes DolceGabana. Pratique, je dessine dans le métro (quand j’en ai marre de chercher le planning parfait) et je grave dès que je peux. Que ce soit à table ou au boulot (mais pas au wc, je n’y avais pas encore pensé).

Je n’ai pas encore imprimé les linos. Pourtant super motivée j’avais tout prévu. Pourquoi je n’imprime pas en semaine ? Parce qu’il faut du temps. Il faut tout nettoyer à la fin de la session. Faux problème que j’ai réglé en mettant du retardateur dans l’encre, pour ne plus avoir besoin de nettoyer chaque soir. La dernière fois que je suis allée à l’atelier j’ai pu admirer une belle tâche de motivation toute desséchée prête pour la poubelle. Raté.

Comble du comble. Je suis à Hendaye pour bosser sur le projet lune. Et bien ici, j’ai de nouveau le temps de tout faire (enfin pas six langues étrangères quand même, mais tout le reste oui).

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