
30 Avr Evaluation

Un titre qui fait un peu prof. Déformation professionnelle de toujours vouloir évaluer ? Evaluer pour évoluer, parce que je grave mes 10 x 10 à la chaine sans prendre le temps de regarder ce que je fais. Alors comment progresser ? Comment ne pas reproduire les mêmes erreurs ?
Avec Poisson, nous nous sommes assis 2 heures durant pour les critiquer. Déjà j’en ai 12 de terminés. 4 de plus qui attendent d’être imprimé. C’est un peu minable, je trouve. Je voulais en faire un par semaine à partir de janvier. Mathématiquement, c’est bon mais je sais que j’ai triché. J’avais commencé en octobre. Dire que je voulais passer à 2 par semaines + … + …. Bref *1.
Donc, on s’est assis avec ma bible du moment (l’œuvre complet de Matisse) et on a comparé chaque linogravure à l’original. Mais on n’a pas non plus rejeté les libertés prises. Il en ressort une certaine impatience. Je découvre l’œuvre au fur et à mesure que je la grave. Donc oui, le but de les reproduire est aussi de les découvrir mais parfois ça pause problème. Par exemple, sur le Luxe II, Simon me dit : « j’aime beaucoup le motif que tu as choisi pour faire la mer. C’est très original. » Je réponds : « Mais c’est pas la mer, c’est tout vert. …. Aaaah ! ça explique pourquoi on lui sèche les pieds ! Elle sortait de l’eau. Effectivement, maintenant que tu le dis … » J’ai passé une semaine à regarder ce tableau quasiment tous les jours. Mais voilà, le problème est le même sur tous. Je les regarde en tant que formes abstraites agencées sur une surface. Rien de plus. Ma réflexion est exactement celle-ci : « Si je fais ça en noir… ça c’est blanc, noir, blanc, noir, noir… Ah. Bon, alors, si je choisi celui-ci en blanc ? Et maintenant comment je crée cette autre couleur qui ne peut pas être blanche mais qui ne doit pas être noire ? » J’ai raté toute l’histoire du tableau. Il en va de même pour les expressions qui ne sont pas améliorées par mes défauts techniques. Mais comme je ne pense que d’un point de vue plastique et nullement narratif, si j’arrive à avoir le bon noir au bon endroit, l’expression change totalement. Et la signification du tableau aussi. Ce manque d’analyse engendre un autre problème : un effet fouillis voir incohérent des fonds. Parfois on perd totalement en lisibilité. Comme sur la coupe d’oranges, où la coupe a disparu dans le fond. Hier en gravant « l’intérieur au rideau égyptien » j’ai eu envie, je ne sais pourquoi, de remonter une ligne qui faussait mon dessin. Mais en la remontant j’ai finalement dû en remonter d’autres et en élargir certaines. Et paf, la perspective déjà tremblotante se casse la figure. Le problème du fond est que je ne le pense pas assez. Je me lance et j’improvise. Alors c’est chouette de devoir toujours se réadapter à chaque nouvelle taille, mais y a des moments où ça coince. Enfin ce qui me perturbe le plus est que je n’arrive pas à rendre l’impression de sérénité qui se dégage des tableaux de Matisse. Mes gravures sont plus proches de Münch. Si l’exercice était créatif ça ne me dérangerait pas du tout mais d’un point de vue technique ça veut dire que je ne maîtrise pas ce que je fais. Que je ne parviens pas à avoir ce que je veux ? Mais est-ce que je sais seulement ce que je veux ?
Il y a des points positifs. Le dynamisme. Le traitement général des surfaces et la façon dont je commence à réussir à détacher une forme noire d’un fond noir (j’ai toujours admiré ça chez les autres graveurs mais je ne m’étais jamais lancée). J’ai aussi acheté des outils de dessin plus fins et fait des découvertes graphiques (qui après réflexions me paraissent logique, mais sur le moment non). L’outil que je choisi pour dessiner sur le lino influence considérablement le résultat. A la base j’étais simplement passé du posca à l’encre de chine par soucis écologique… Il faut maintenant que j’essai de trouver des gouges encore plus fines. Celles ramenées du Japon ne sont finalement pas si fines que ça et surtout pas agréable à manipuler. Je perds beaucoup en spontanéité du geste et si je ne suis pas assez concentrée les courbes sont saccadées. Si je ne trouve pas de gouges plus fines je tenterai peut-être le bois de bout mais alors là pas sûre de me promener avec dans mon sac à main.
Du point de vue de l’encrage, franchement je trouve que je m’en sors plutôt bien. Ok, c’est du lino, c’est facile. Mais quand même ! J’arrive à bien conserver les finesses, j’ai de beaux aplats… mais une fois encore je suis une feignasse. Je ne nettoie pas mon encre. A quoi bon je vais la réutiliser demain, elle sera encore bonne. Dans 3 jours, avec du produit, ça passe. Et au bout d’une semaine, j’ai des pétouilles. Ou une encre trop diluée. Alors je bricole et PAF !!! Après c’est un paf que j’ai remarqué en prenant le temps de le chercher. Mais justement, exercice technique ne tolère pas les paf !
Maintenant, revenons-en à la question de qu’est-ce que je veux avec ces 10×10 ? Je voulais une pratique régulière de la gravure afin de progresser en gravure et en dessin. Au début je pensais faire des sujets alimentaires. Je trouve ça tellement incroyable toutes les formes, couleurs et textures de la nourriture ! Quand je fais un gâteau, je tamise la farine, uniquement pour le plaisir des yeux (c’est comme de la neige !) Mais la nourriture ça refroidit, ça moisit et il faut la mettre en scène pour qu’elle soit belle en gravure. Donc beaucoup de choses à gérer. Je voulais aussi reprendre mon programme « zenement intensif pour apprendre à dessiner ». (J’aurais tenu presque un mois sur les 8 ans escomptés. Un record ! Rappelons que je n’aime pas dessiner. Même si je me suis aperçue que, hors gravure et hors atelier, je dessine quand même au minimum 1h par jour). L’idée était d’adapter ce programme à la gravure. Mains, portrait, drapé… Et de l’autre côté, les repro que je faisais au pastel gras pour me détendre quand j’étais étudiante, me manquaient. Et j’aime beaucoup les images. Alors reproduire des tableaux existants me semblait un bon point de départ. Il y a dedans tous les points que je souhaite travailler actuellement et en plus quelqu’un a déjà réglé les problèmes de perspective et de composition à ma place. Ca facilite beaucoup le travail. Donc de ce point de vu là, la perte du sens du tableau n’est pas grave, car il n’est qu’un prétexte. Il est juste dommage pour moi de ne pas l’avoir saisi.
En revanche, avec les oranges noires, je me suis aperçue que, quand même, il faudrait que je travaille les sphères et verrerie en gravure. Et le coup des nœuds et des drapés, ça me perturbe aussi… Ah bah tient. Je vais faire une nouvelle liste de tout « ce qui me perturbe » que je souhaiterais étudier.
*1 Dans le monde idéal des 10x 10, je fais 2 linos, 1 pointe sèche, 1 burin, 1 eau forte. Et en plus des 10 x10 je termine une vieille gravure et j’en fais une autre. Tout ça chaque semaine. C’est impossible pour moi. Même quand je ne cuisine pas, que je ne jardine pas, que je ne sportive pas et que je réduis mon temps de sommeil je suis à 6 gravures par mois. Pas par semaine. Va encore falloir choisir… Même en confinement j’ai trop de choix !!! Je ne suis franchement pas une reine de l’organisation.
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