
20 Juin L’escalier.
Etant ado, j’entendais toujours ma tante me parler de l’escalier de Jules Supervielle. Elle me disait que la vie est comme un escalier et qu’il faut prendre son temps pour le gravir, une marche après l’autre. J’imaginais cet Escalier comme une chose incroyable, aussi mythique que la Tour de Babel. Je n’avais qu’une envie : atteindre le sommet le plus vite possible pour y découvrir ce qu’il y avait là-haut. Quelque chose d’extraordinaire, une vue sublime j’imaginais. Depuis cette époque la figure de l’Escalier exerce une certaine fascination sur moi.
Mercredi, un proche a atteint le sommet de l’Escalier, je ne saurai jamais ce qu’il y a vu. Elle s’appelait Léa, était comme de la famille et fut ma première stagiaire. Elle avait 24 ans.
Ce soir, j’ai eu envie de partager ce poème avec vous.
Parce que l’escalier attirait à la ronde
Jules Supervielle. l’escalier, 1934.
Et qu’on ne l’approchait qu’avec les yeux fermés,
Que chaque jeune fille en gravissant les marches
Vieillissait de dix ans à chaque triste pas,
-Sa robe avec sa chair dans une même usure-
Et n’avait qu’un désir ayant vécu si vite
Se coucher pour mourir sur la dernière marche;
Parce que loin de là une fillette heureuse
Pour en avoir rêvé au fond d’un lit de bois
Devint, en une nuit, sculpture d’elle-même
Sans autre mouvement que celui de la pierre
Et qu’on la retrouva, rêve et sourire obscurs,
Tous deux pétrifiés mais simulant toujours…
Mais un jour l’on gravit les marches comme si
Rien que de naturel ne s’y était passé.
Des filles y mangeaient les claires mandarines
Sous les yeux des garçons qui les regardaient faire
L’escalier ignorait tout de son vieux pouvoir
Vous en souvenez-vous? Nous y fûmes ensemble
Et l’enfant qui venait avec nous le nomma.
C’était un nom hélas si proche du silence
Qu’en vain il essaya de nous le répéter
Et confus, il cacha la tête dans ses larmes
Comme nous arrivions en haut de l’escalier.
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